La séparation des églises et de l’Etat en France fait l’objet de nombreux commentaires à l’extérieur de la France. Certains étrangers y voient un modèle à adopter, d’autres la rejettent impérativement. Chacun la voit à l’aune de ses préoccupations personnelles ou locales mais finalement peu connaissent quelle est la situation réelle de la Séparation dans notre pays.
En est-il différemment en France ? Ce n’est pas certain.
La Laïcité dont on ne parlait plus, ou peu, est revenue sur le devant de la scène, en grande partie grâce aux efforts de la Libre Pensée
En cette période pré-électorale tous les candidats parlent de Laïcité. Est-ce bien la nôtre, celle que nous défendons ? Ou une vision qui reste la leur et qui le plus souvent sonne comme une anti-laïcité ou une laïcité à adjectif.
Sans faire l’histoire de la Laïcité en France, rappelons simplement que c’est un long combat.
Avec les Lumières se confirme l’idée que l’Etat, qui n’est pas encore la République, peut gouverner les citoyens sans l’aide des églises.
Citons : Diderot sur le pouvoir de la religion dans la lettre d’un philosophe à un roi ou sur une société libérée, Voltaire sur l’intolérance religieuse, Condorcet et l’Encyclopédie sur le progrès de la connaissance et l’école publique séparée du religieux, d’Holbach sur l’athéisme, Et Kant, Rousseau, Choderlos de Laclau et même Fénelon.
Et lorsque naitra la Révolution, dès le 26 Août 1789, l’article X de la déclaration des droits de l’homme et du Citoyen établira : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
Cette déclaration sera suivie en 1795 par la première séparation qui sera éphémère.
Il faudra attendre presqu’un siècle pour que la Commune décrète à son tour le 3 Avril 1871 la Séparation. Mais la Commune ne durera que deux mois.
C’est donc le 9 décembre 1905 que la IIIe République va opérer la Séparation des églises et de l’Etat.
Trois articles de cette loi sont fondamentaux et sont régulièrement remis en cause :
- L’article 2 : « La République ne reconnait, ne salarie, ne subventionne aucun culte. »
- L’article 27 sur les manifestations extérieures des cultes
- L’article 35 sur la du clergé résistance à l’application des lois
Or depuis 1905 la réaction cléricale n’a cessé de tenter de réduire le champ d’application de la loi, et y réussit souvent.
Il s’agit d’une offensive concertée et raisonnée qui porte sur un axe principal et sur des objectifs secondaires.
L’axe principal est celui de l’enseigement.
Depuis la loi Falloux l’église catholique n’a eu de cesse de prendre en main le système scolaire qui lui est indispensable pour la pérennité de son éducation religieuse et de son influence sur la société. En cela elle profite de la complicité objective de l’Etat.
Après avoir obtenu le droit à l’existence d’un enseignement confessionnel qui n’a jamais été sérieusement contesté, elle a grignoté de pans entiers de ce qui semblait être le monopole de l’Etat.
Citons à ce titre : l’enseignement du fait religieux qui remplace le cours de morale ; la création de chaires de théologie en dehors de départements concordataires ; la formation religieuse des imans à l’université catholique de Lille, le titre d’université étant lui-même usurpé, ce qui n’empêche pas la délivrance de titres universitaires par ces mêmes « universités libres », alors que la collation des grades est une prérogative de l’Etat sanctionnée par la loi ; la mise à disposition de locaux de l’enseignement confessionnel pour le passage d’examens sans que les crucifix et autres objets à caractère religieux disparaissent ; le financement des établissements privés par le biais des caisses des écoles ; la loi Guermeur qui assure aux maîtres sous contrat les mêmes avantages sociaux et de carrière qu’aux maîtres titulaires de l’enseignement public et finalement la prise en charge intégrale par l’Etat du financement de l’enseignement catholique ; ceci sera complété par la loi Carle qui vise à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association la généralisation des aumôneries.
Une mention particulière doit être décernée à la loi Debré dont la FNLP demande avec insistance l’abrogation. En effet donner à l’éducation privée confessionnelle un statut de service public d’enseignement revient à mettre en concurrence l’enseignement public et le privé car les deux structures sont mises à égalité de traitement du point de vue du financement par l’Etat et les communes. Le manque de moyens de l’enseignement public n’a pas d’autre explication. Il ne fait, pas de doute que si les fonds dédiés à l’enseignement allaient exclusivement vers le public les moyens seraient à la hauteur des ambitions.
Notons pour mémoire que la taxe d’apprentissage recouvrée par les organismes consulaires, qui en disposent librement, va pour une part non négligeable vers le privé.
En fait tout se passe comme si la privatisation de l’enseignement à terme était déjà planifié.
Par ailleurs des axes secondaires contribuent renforcer les prétentions des anti-laïques. Il s’agit là d’offensives sur des terrains divers qui vont de la tentative de rétablir les processions publiques aux subventions demandées et obtenues pour la construction ou l’entretien de lieux de culte en passant par les services d’aumônerie.
A ce sujet la circulaire Guéant de 2011 prévoit d’associer les cultes au fonctionnement des établissements de santé publics faisant de l’aumônier un agent public qui apporte son concours à l’équipe soignante. Sa présence par sa dimension éthique est enrichissante pour tous et l’aumônier éclaire le cas échéant l’équipe médicale et soignante. Comme si elle en avait besoin.
On ne notera que pour mémoire le statut concordataire des départements d’Alsace et Moselle que personne ne parle de supprimer, bien au contraire, des programmes électoraux envisageant d’étendre ce statut à d’autres religions absentes de ces territoires au moment du concordat napoléonien.
A ces tentatives de mise en cause de la séparation des églises et de l’Etat, les tribunaux administratifs, et en particulier le Conseil d’Etat de la République, adoptent des positions assouplissant les dispositions de la loi et allant dans le sens des accommodements raisonnables à la canadienne.
Ces entorses à la loi de 1905 encouragent d’autres religions à revendiquer des dispositions correspondant à leur culte y compris en les imposant à d’autres groupes.
On ne signalera que pour mémoire les horaires différents dans les piscines pour les hommes et les femmes, l’exigence que les femmes ne soient examinées que par des médecins de leur sexe, l’exclusion de la viande porc dans les menus des cantines scolaires, la demande de carrés religieux dans les cimetières, ce que pourtant la loi condamne expressément.
Il est tout à fait évident que dans la mesure où les tribunaux ne sanctionnent plus systématiquement les infractions à la séparation et où les pouvoirs publics ferment les yeux la Laïcité est en dangers en France.
Cette tendance qui remonte à quelques années a trouvé un allié de poids dans la mesure le livre de Monsieur Sarkozy, « La république, les religions, l’espérance » aurait ouvertement sonné le glas de la Laïcité à la française si certains, et la FNLP en particulier n’avaient vigoureusement protesté. Toutefois rien n’est gagné.
Lorsqu’il est écrit que les religions doivent avoir une place « dans » la République, que « l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté », que « le baptême républicain ne peut être mis sur le même plan que le baptême religieux », qu’il est nécessaire « de construire des synagogues, des églises et des mosquées dans les banlieues », qu’il « est aussi important d’ouvrir des lieux de culte dans les grades zones urbaines que d’inaugurer des salles de sport… », que « la rémunération des ministres des cultes » est nécessaire, il ne faut pas s’étonner que les adversaires de la laïcité se trouvent des raisons d’agir pour y mettre fin.
Si dans les périodes électorales il est de bon ton de se montrer défenseur de la laïcité, ces bonnes intentions s’arrêtent à la liberté de conscience. Lorsqu’on parle d’introduire le concept de laïcité dans la Constitution, c’est de cette liberté là dont il est question. Mais personne ne propose d’écrire : « La République ne reconnait, ne salarie, ne subventionne aucun culte ». C’est cette phrase là, qui est importante, car on ne la respecte plus. Elle est pourtant la base de la Séparation.
De ce point de vue l’action de la FNLP devra s’amplifier dans les mois et années à venir.
Jacques Lafouge