Madame la Ministre,

L’Association internationale de la Libre Pensée (AILP), dont la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) est un des membres fondateurs, vient d’adresser une correspondance au président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours pour lui demander d’enjoindre à la société Family Search International de cesser d’accaparer « […] l’identité de toutes les personnes décédées dont il lui est possible de prendre connaissance […] dès lors [que cela] a pour effet d’enrôler les défunts athées, agnostiques, déistes, libres penseurs ou membres d’autres religions dans la caravane des saints des derniers jours, au mépris du respect qui leur est dû et sans que leurs familles le sachent. »

De son côté, la FNLP vient de saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) d’une demande tendant à rapporter la décision n° 2013-105 du 25 avril 2013 par laquelle cette autorité administrative indépendante a autorisé la société Family Search International, étroitement liée au culte mormon, d’une part, à conserver « […] des actes d’État civil et des documents de recensement dans les conditions décrites ci-dessus, en application de l’article 36 alinéa 3 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée […] », d’autre part, à transférer « […] vers les États-Unis de[s] données à caractère personnel dont les caractéristiques sont énoncées ci-dessus, en application de l’article 69 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. » La CNIL a ainsi validé les accords conclus en 1960 et 1987 entre la République française, alors représentée par la direction des Archives de France rattachée à votre ministère, et l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

Cette décision ne soulève pas d’interrogations ayant trait au traitement post mortem des données publiques d’état civil mais paraît incompatible avec la garantie de la liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République et les articles 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. La Révolution française a laïcisé l’état civil le 20 septembre 1792 pour le confier à des officiers publics de manière à libérer les citoyens de toute tutelle religieuse. Dans ces conditions, les cultes ne sauraient s’emparer de ces données à des fins dogmatiques après le décès des personnes. Imaginons Jean Jaurès ou le président Émile Combes faisant l’objet d’un baptême pour les morts et leurs proches d’une exploitation généalogique par la société Family Search International aux fins de sublimer leurs « familles éternelles ».

Ce problème concerne également les vivants qui souhaitent voir leur identité effacée des registres tenus par les cultes dans la mesure où, en l’état de la jurisprudence nationale, la seule mention « a renié son baptême » en marge de ceux conservés par l’Église romaine suffirait à garantir leur liberté de conscience.

C’est pourquoi nous proposons au Gouvernement de compléter le code du patrimoine par les dispositions suivantes :

1°- création d’un article L. 213-1-1 ainsi rédigé : « Les archives publiques des actes de l’état civil ne peuvent faire l’objet d’un traitement à des fins religieuses sans le consentement des personnes concernées exprimé de leur vivant, de leur représentant légal ou de leurs ascendants ou descendants après leur décès » ;

2°- création d’un article L. 211-5-1 ainsi libellé : « Les registres de fidèles tenus par les cultes donnent lieu à l’effacement de l’identité des personnes qui le demandent de leur vivant par tout moyen ou dont le représentant légal présente une telle demande. »

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de ma très haute considération.

P.O. le vice-président

Dominique GOUSSOT

Madame la Ministre
– Cabinet –
3, rue de Valois
75001 PARIS