Paris, le 20 septembre 2024
Madame la présidente,
L’Association internationale de la Libre Pensée (AILP), dont la Fédération nationale de la Libre Pensée (FNLP) est un des membres fondateurs, vient d’adresser une correspondance au président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours pour lui demander d’enjoindre à la société Family Search International, liée à ce culte, de cesser d’accaparer « […] l’identité de toutes les personnes décédées dont il lui est possible de prendre connaissance […] dès lors [que cela] a pour effet d’enrôler les défunts athées, agnostiques, déistes, libres penseurs ou membres d’autres religions dans la caravane des saints des derniers jours, au mépris du respect qui leur est dû et sans que leurs familles le sachent. »
Or, par une décision n° 2013-105 du 25 avril 2013, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a autorisé la société Family Search International, d’une part, à conserver « […] des actes d’État civil et des documents de recensement dans les conditions décrites ci-dessus, en application de l’article 36 alinéa 3 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée […] », d’autre part, à transférer « […] vers les États-Unis de[s] données à caractère personnel dont les caractéristiques sont énoncées ci-dessus, en application de l’article 69 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. » La CNIL a ainsi validé les accords conclus en 1960 et 1987 entre la République française, alors représentée par la direction des Archives de France, et l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.
En l’espèce, le problème à résoudre n’est pas tant celui du correct traitement post-mortem des données d’état civil des personnes défuntes que celui de leur exploitation à des fins religieuses, même après le délai de soixante-quinze ans prévu au e) du 4° de l’article L. 213-2 du code du patrimoine. Si les archives publiques doivent demeurées consultables de plein droit, sous réserve des périodes pendant lesquelles elles sont inaccessibles, parfois dans des conditions d’ailleurs critiquables, leur traitement par une religion selon les règles d’un dogme ou d’une croyance, même au tavers des méthodes de la généalogie, devrait être interdit dans un État séparé des cultes, sauf si les défunts en ont décidé autrement de leur vivant ou, à défaut, si les descendants l’acceptent. Sur point, la loi est muette et mériterait d’être complétée. Imaginons Jean Jaurès ou le président Émile Combes faisant l’objet d’un baptême pour les morts et leurs proches d’une exploitation généalogique par la société Family Search International aux fins de sublimer leurs « familles éternelles ». À cet égard, notons par parenthèse que la question ici posée en rappelle une autre : elle met en jeu la liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République et l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, à laquelle porte également atteinte le maintien contre leur gré de l’identité des personnes, vivantes ou décédées, dans les registres de catholicité.
Ce vide juridique n’est pourtant pas de nature à justifier le maintien de la décision de la CNIL du 25 avril 2013, pour deux raisons. D’une part, la finalité religieuse du traitement des données publiques d’état civil par l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours n’est pas légitime au regard tant du respect dû aux défunts étrangers à ce culte, qui procède à leur baptême sans leur consentement explicite, que de la séparation des Églises et de l’État. D’autre part, à notre connaissance, la société Family Search International ne satisfait pas, sauf erreur, à l’obligation « […] d’informer, de façon claire et pédagogique, les personnes concernées par les archives traitées […] ».
Par suite, la FNLP demande à la CNIL en sa qualité d’autorité administrative indépendante de rapporter sa décision du 25 avril 2013.
Je vous prie de croire, Madame la présidente, à l’assurance de ma très haute considération.
P.O. le vice-président
Dominique GOUSSOT
Madame Marie-Laure DENIS
Commission nationale de l’informatique et des libertés
3, place Fontenoy
75007 PARIS