Que le pape soit originaire d’Argentine est une malédiction
Fernando Lozada

(Traduction française : Alain Contestin)

Quand le 13 mars les cardinaux du Vatican ont élu le 266e pape de l’Église catholique Jorge Mario Bergoglio, les argentins qui travaillent pour un État laïque ont su qu’une nouvelle charge du cléricalisme allait frapper l’Amérique latine et en particulier l’Argentine.

Le gouverneur de la ville de Buenos-Aires a réagi rapidement et la nuit même où le conclave a donné la nouvelle de l’élection, il a fait illuminer deux lieux distincts de la capitale, évidemment avec des lumières jaunes, couleur de son parti politique.

Les députés des différents groupes politiques ne souhaitant pas faire moins que le gouverneur ont commencé à faire des propositions de projets pour honorer le Pape d’origine argentine. Cristian Ritondo et Roberto Quattromano ont demandé que soit posée une plaque commémorative sur la maison de la rue Membrillar où le nouveau pontif à vécu enfant (c’est chose faite). Daniel Amoroso a demandé que le nom de « Pape François » soit donné à l’avenue Carabobo. Ritondo et Jorge Garayalde aussi ont proposé la même dénomination pour la station de métro de la ligne A. Fernando de Andreis, Victoria Morales Gorleri, Daniel Lipovetzky, Daniel Amoroso y Adriana Montes ont de plus présenté un projet de déclaration formelle du parlement pour « approuver et dire la fierté des Argentins » pour la nomination de Jorge Bergoglio au rang le plus élevé la hiérarchie de l’ICAR (Église romaine catholique et apostolique).

À Mar del plata, le Conseil Municipal a demandé que soit reservé le nom de « François 1er » à la nouvelle place publique, appartenant à la municipalité, qui va se construire devant le Musée d’Art Contemporain.

Le mardi 19 mars, après que Bergoglio ait pris le nom de François, a été envoyée une délégation argentine dirigée par la présidente Cristina Fernández de Kirchner au Vatican. Dans le comité de 140 personnes étaient représentés les trois pouvoirs de l’État ainsi que des dirigeants de syndicats et de corporations.

Le président de la Cour Suprême de Justice, Ricardo Lorenzetti, aussitôt après la désignation de Bergoglio a déclaré : « c’est un sujet très important » et « nous Argentins, malgré les opinions que chacun peuvent avoir sur son aspect spécifique (ndt : religieux), nous devons tous nous y intéresser et l’approuver ». Un peu plus tard, ont été rendu publics les échanges de lettres entre le pape et ce ministre.

Le drapeau du Vatican a été installé sur la place de la République en l’honneur de celui qui fut cardinal et archevêque de la ville : Jorge Bergoglio.

Le 14 mars ont été éclairé avec du jaune papal, les monuments emblématiques de la ville de Buenos Aires : l’historique Pirámide de Mayo. le monument de la Grande Charte et les quatre régions d’Argentine et, paradoxalement, le planétarium Galilée.

Le 19 mars le gouverneur José Manuel de la Sota, aux côtés de l’archevêque de Cordoba, Monseigneur Carlos Ñáñez et de le maire Ramón Javier Mestre, ont inauguré sur la promenade du parc Las Tejas, un lieu avec une plaque en hommage au nouveau pape. Le même jour a été prononcé congé dans les écoles publiques des provinces de Formosa, Chaco, La Rioja, Santa Cruz y Ville de Buenos Aires pour célébrer le début du pontificat.

Le 21 mars en reconnaissance au souverain pontife, à l’intiative du député de la ville de Buenos Aires Daniel Lipovetzky, a été proposé que l’école primaire n°8 du dsitrict scolaire n°11 s’appelle désormais « Pape François » (ndt : école où le pape a été scolarisé).

A la ville de La Plata, le 26 mars, a été donné à un tronçon de l’avenue 53 entre les rues 14 et 19 le nom de François, sur la décision de l’intendant Pablo Bruera.

Le 27 mars le conseiller Jorge Boasso de la ville de Rosario, province de Santa Fe a présenté un projet d’ordonnance en l’honneur du premier Pape argentin et latino américain de l’historie, sur l’impérieuse nécessité de donner le nom de Pape François au tronçon de la rue Buenos Aires qui se situe entre la rue Cordoba et la rue Santa Fe.

Le 28 mars, le gouvernement de la ville de Buenos Aires a déployé une gigantesque banderolle, toujours là, de 88 sur 44 mètres avec le protrait du pape François sur l’Edificio Del Plata, situé au croisement des rues Pellegrini et Sarmiento, à quelques mètres de l’Avenue du 9 Juillet. (ndt : 1816 date de l’indépendance contre laquelle le clergé de l’époque a évidemment lutté).

Le 31 mars, l’autorité fédérale des services de communication audiovisuelle a lancé un communiqué officiel pour que toutes les radios retransmettent le message pascal envoyé par Bergoglio à la Conférence épiscopale d’Argentine.

Le 4 avril, le militant pro-vida (ndt : contre l’avortement et contre le mariage homosexuel qui a cependant été voté en Argentine par le parlement fédéral) de Salta, Alfredo Olmedo, a présenté un projet de loi pour que la route nationale 9 (ndt : qui traverse le pays d’est en ouest) jusqu’à La Quiaca reçoive le nom de « Pape François ».

Le 4 avril, le sénateur Aníbal Fernández, très proche de l’exécutif national, a estimé que le climat social du pays a changé depuis l’accession d’un pape argentin et que donc l’avortement ne sera probablement pas légalisé dans le pays. (ndt : L’avortement « thérapeutique » existe et avec la corruption ambiante est réservé aux familles aisées, l’avortement tout court en terme de contrôle des naissances reste illégal.)

Le 10 avril, des employés de l’hôpital public Louis Pasteur de la ville de Chepes (province de La Rioja), ont constaté avec étonnement la disparition d’un portrait du pape qu’ils avaient sans autorisation accroché sur un mur du service d’urgence. Cet acte de décrochage a (sans craindre le ridicule) été qualifié « d’intolérance », pour ne pas respecter les croyances de autres. (ndt : L’église fournit en argentine du personnel aux hôpitaux publics.)

Le 12 avril le conseil municipal de Concepción, province de Tucuman, a voté pour changer le nom de la rue Nasif Estéfano en rue « Pape François ».

Le 24 avril à Paraná Entre Ríos, le conseil municipal de la ville a approuvé à 14 voix contre 1, le changement de nom d’un tronçon de la rue Monte Caseros en rue François.

Le 30 avril, la poste d’Argentine a émis un tirage de 120000 séries de timbres commémoratifs pour le pape François.

Le 4 mai a été inauguré par l’office de tourisme de la ville de Buenos Aires, le « circuit papal » libre des lieux ou a vécu Bergoglio. Les visites guidées en car et à pied dans le quartier de Flores où est né Bergoglio, d’autres aux alentour de la cathédrale, commenceront officiellement la deuxième semaine de mai.

Le 6 mai est inscrit à l’ordre du jour de la réunion de la commission de législation générale du conseil municipal de la ville de Salta la denomination de ville pro-vida (ndt : ville sans avortement). Ce projet sera traité lors de la session ordinaire du 22 mai. Si ce projet est approuvé ce sera non seulement une régression des droits des femmes, mais aussi un acte anticonstitutionnels.(ndt : les droits individuels sont inscrits dans la constitution depuis la fin de la dictature de Videla).

Le 17 mai a été publié dans plusieurs médias nationaux, que le nonce apostolique (ndt : ambassadeur du Vatican) et le CEA (ndt : haut conseil à l’éducation d’argentine) avaient trouvé un accord avec l’administration fédérale des droits publics pour faciliter l’achat de devises étrangères par les jeunes qui iront au Brésil pour la journée mondiale de la jeunesse catholique, présidée par un mandataire du Vatican. (ndt : Il y a deux cours du $ en Argentine ; faible dans les banques qui délivrent des devises au compte goutte, 10 fois plus élevé sur le marché noir du change.) En Argentine existe une forte restriction pour l’acquisition de devises étrangères pour tous les citoyens. Cela représente un clair décrochage par rapport aux valeurs républicaines de l’État Argentin et un recul de la laïcité face au cléricalisme.

Le 8 mai, la Présidente Cristina Fernández de Kirchner, avec Radrizzani évêque de Lujan, a remis, au siège du gouvernement, une image de la Vierge de Lujan au président du Venezuela Nicolás Maduro . Elle a déclaré : « Le 8 mai, il n’y avait rien de spécial mais, fait du hasard, c’est le jour du couronnement de la Vierge de Lujan et le Pape François a parlé d’elle et a demandé qu’on l’honore. »

Le vendredi 10 mai est apparue sur la façade du marché central (ndt : couvert de Buenos Aires) une gigantesque affiche représentant la Présidente (ndt : Kirchner) saluant « François », avec au dessus d’eux des portraits des présidents défunts d’Argentine Juan Domingo Perón et Néstor Kirchner. Selon les médias en ligne la bannière a été accrochée par le secrétariat d’État au commerce intérieur.

Les militants laïques d’Argentine ne baisseront pas les bras dans la lutte pour une société plus juste et égalitaire, nous continuerons énergiquement à dénoncer les avancées du cléricalisme dans les institutions de l’État. Historiquement dans notre pays les avantages obtenus par les religieux l’ont été pendant les périodes de dictature, tandis qu’en démocratie ils s’en sont toujours tenus à une attitude laïque, et nous espérons qu’un pape d’origine argentine ne se transformera pas en une malédiction en changeant la direction de laïcisation sous laquelle naturellement est dirigée notre nation.

Fernando Esteban Lozada
Porte-parole pour l’Amérique latine, Association internationale de la libre pensée (AILP)
Membre, Coalition argentine pour un état laïque (CAEL)
Président, Congrès national des athées d’Argentine
Ex président et titulaire de relations inter-institutionnelles, Association civile athée de Mar del Plata
Membre, Institut laïque d’études contemporaines d’Argentin
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