Fernando Esteban LOZADA
Porte-parole AILP

De grands efforts médiatiques tentent aujourd’hui de présenter le nouveau pape comme un individu capable d’apporter un souffle de rénovation et de changement à l’ICAR mais, comme JP II, il n’est qu’un conservateur imprégné de doctrine ecclésiastique médiévale, avec les mêmes défauts que ses prédécesseurs, mais qui sait comment modeler stratégiquement son image publique.

François I est sans aucun doute un habile et fidèle dirigeant de l’église, mais n’est en aucune façon un humaniste engagé envers les plus démunis.

Avec beaucoup d’astuce et d’ambition, au sein du clergé, il a connu une rapide ascension, parvenant à être provincial (l’autorité maximale des Jésuites) en 1973 en Argentine à l’âge de 37 ans, charge qu’il occupa jusqu’en 1979.

Durant cette période, il réalisa le transfert de l’Université du Sauveur (USAL), propriété de la Compagnie de Jésus, à une organisation de laïcs qui militèrent avec lui dans la Garde de Fer, faction du péronisme ultra catholique nationaliste de droite, qui à certains moments surent adopter un camouflage de gauche, à leur convenance. Ils avaient des contacts fluides avec des secteurs militaires en activité qui préparaient alors le coup d’Etat de 1976, essentiellement avec le génocide amiral Emile Edouard Massera. Avec la junte militaire installée illégalement au gouvernement, le 25 novembre 1977, l’USAL clôtura le cycle académique annuel en décernant le titre « Honoris causa » au dictateur Massera. Bergoglio ne fut pas étranger à cet acte, mais il préféra ne pas être présent et il y délégua un subordonné. Vu la structure verticale presque militaire de la hiérarchie des Jésuites, il est certain que le vice-provincial prit part à cet hommage avec le plein consentement de son supérieur.

La déclaration de principes de l’USAL fut rédigée par Bergoglio en 1974. Le document s’intitule « Histoire et Changement ». Le texte énumère les trois pivots qui orienteront la spiritualité et la mission de l’Université du Sauveur. Le premier d’entre eux est « Lutte contre l’athéisme » : il désigne clairement l’athée comme le sujet à combattre. En 2009, j’ai dénoncé l’USAL pour discrimination, et obtenu un verdict favorable de l’Institut National contre la Discrimination, la Xénophobie et le Racisme (INADI) http://www.página12.com.ar/diario/sociedad/3-165666-2011-04-06.html

Selon l’INADI, le texte rédigé par François « attribue à l’athéisme une valeur négative, en préjugeant de façon péjorative son idéologie, et en l’associant à des doctrines et à des régimes qui ont dirigé une histoire néfaste pour l’humanité ». Ce document fut ratifié par son auteur en diverses occasions jusqu’aujourd’hui, montrant son mépris pour ceux qui ne partagent pas la vision dominante du catholicisme.

Bergoglio occupe la charge d’archevêque de Buenos Aires le 28 février 1998, et obtient ainsi le titre de primat de l’Argentine. Etre archevêque de Buenos Aires fit de lui un membre de la Conférence Episcopale Argentine, dont il fut le président durant deux périodes consécutives, de 2005 à novembre 2011, où il ne put être réélu une fois de plus car le règlement l’interdisait en raison de son âge.

En décembre 2004, un des artistes les plus reconnus d’Argentine, avec un remarquable parcours international, Leon Ferrari, réalise une exposition rétrospective de 50 ans de travail. Une partie de l’œuvre est une critique des aspects les plus sanglants du christianisme de ses débuts jusqu’à nos jours, en passant par les dictatures argentines.

Bergoglio fut le chef de ce qui devint une chasse aux sorcières, qualifiant l’œuvre de « blasphème » dans une lettre pastorale largement diffusée. L’effort de l’église pour fermer l’exposition fut énorme, mais la participation de personnalités remarquables de la société, et un public en majorité engagé parvinrent à éviter la censure de l’inquisition catholique. La lettre signée du primat disait entre autres choses : « je m’adresse aujourd’hui à vous profondément blessé par le blasphème qui est perpétré au Centre Culturel de la Recoleta par le biais d’une exposition plastique. Je suis aussi chagriné par le fait que cet événement soit réalisé dans un Centre Culturel qui survit grâce à l’argent du peuple chrétien et à celui que des personnes de bonne volonté apportent avec leurs impôts ». L’hypocrisie est manifeste puisque, grâce à la dictature des années 70, les évêques – y compris le primat – perçoivent d’énormes salaires payés par l’Etat argentin.

Le 8 novembre 2002 fut nommé évêque aux armées Antonio Baseotto. Cette charge, par un accord entre le Saint Siège et la République Argentine signé pendant la dictature de 1957, concède à son titulaire la position salariale officielle de « sous-secrétaire d’Etat ». L’évêque aux armées est nommé par le Saint Siège après accord du Président de la République Argentine. Sa fonction est le service religieux des forces armées de Terre, de Mer et de l’Air.

Le 18 février 2005, Baseotto attaqua publiquement la position du gouvernement du Président Nestor Kirchner en faveur de la dépénalisation de l’avortement et de la répartition de préservatifs aux jeunes. Il envoya au Ministre de la Santé Ginés González García une lettre de menaces qui disait : « ceux qui scandalisent les petits méritent qu’on leur pende au cou une pierre de moulin et qu’on les jette à la mer ». Cette citation d’origine biblique réveilla le souvenir des fameux « vols de la mort ». Souvenons-nous que les militaires putschistes assassinaient les militants de gauche en les jetant à la mer depuis un avion.

Le gouvernement décida de limoger Baseotto en mars 2005. Bergoglio dit alors : « le seul qui désigne les évêques dans l’Eglise, c’est le pape », exprimant ainsi clairement que Baseotto ne peut pas être renvoyé par le Gouvernement, et refusant de nommer un remplaçant. De nouveau apparut l’évidence de sa fidélité inconditionnelle à l’Eglise, de son adhésion aux expressions génocides, et comment il fait fi du gouvernement démocratique.

Le 9 octobre 2007, le prêtre catholique Christian Frédéric von Wernich fut déclaré coupable de 34 cas de privation illégitime de liberté, 31 cas de torture et 7 homicides qualifiés, crimes perpétrés durant la dernière dictature en Argentine. Il fut condamné à la réclusion perpétuelle et à l’interdiction à vie d’exercer des emplois publics, vu qu’il était aumônier de la Police de la Province de Buenos Aires.

La Conférence Episcopale, sous la présidence de l’archevêque de Buenos Aires Bergoglio, voulant libérer l’Eglise de toute responsabilité, remarqua simplement la « commotion » de l’Eglise Catholique due à la « participation d’un prêtre à de gravissimes délits, selon la sentence de la Justice ». Avec le silence et l’inaction complice du pape actuel, qui s’est de nouveau lavé les mains, von Wernich est toujours compris dans les rangs de l’église catholique, et continue à dire la messe en prison sans avoir reçu le moindre type de sanction de la part du clergé.

Le 10 juin 2009, Jules César Grassi, prêtre catholique argentin, paradoxalement fondateur de la Fondation « Heureux les enfants », est déclaré coupable de deux cas d’abus sexuels et de corruption aggravée de mineurs, et condamné à 15 ans de prison. Pendant le procès, Grassi déclara dans un moyen public d’information : « J’ai parlé avec le cardinal Bergoglio et il m’a dit, d’abord, qu’il ne m’avait pas lâché la main, comme l’avait affirmé une certaine presse, qu’il était à mes côtés comme toujours… » Plus tard, la défense, le ministère public et les parties en cause firent appel, et le 14 septembre 2010, la Cour de Cassation pénale de Buenos Aires rejeta les recours présentés, laissant le curé seul avec la possibilité de recours extraordinaires. Jusqu’à l’an passé, et grâce au lobby catholique, Grassi continuait à jouir de sa liberté. Mais, pour ne pas avoir respecté les restrictions imposées par le tribunal (interdiction de relations avec la fondation « Heureux les enfants »), il se voit assigné à résidence. Encore une fois, le représentant supérieur de l’église catholique en Argentine a opté pour les politiques traditionnelles de l’église : silence, soutien apporté aux violeurs et aux pédophiles.

En décembre 2009, monseigneur Edgar Storni fut condamné à 8 ans de prison pour abus sexuel aggravé sur un ex-séminariste. Son âge avancé lui valut l’assignation à résidence. En avril 2011, la Cour pénale des tribunaux de Santa Fe annula la sentence grâce à un recours technique administratif, et ordonna un nouveau jugement, mais Storni mourut en 2012 dans l’impunité.

En octobre 2002, ce prélat avait dû renoncer à sa charge d’évêque à cause de scandales provoqués par des dénonciations d’abus sexuels et de harcèlement sur 47 séminaristes. Pendant le procès, l’église se prononça : « Il y a une action en justice, et elle suivra son cours ». Ce furent là les mots du vice président en second de l’épiscopat, le cardinal Georges Bergoglio. C’est tout ce que l’on put entendre officiellement de la part du clergé, jusqu’aujourd’hui, y compris après la sentence. Comme toujours, silence, complicité et soutien légal et économique à l’ex-évêque depuis l’obscurité cléricale.

Au cours de l’année 2010, Bergoglio fut cité à déclarer par trois fois, et comme toujours, il se refusa à comparaître. Par le passé, pendant le jugement des Juntes militaires, son refus fut motivé par des raisons de santé. Finalement, il accepta de se présenter comme témoin lors du procès relatif au Plan systématique d’appropriation de bébés et dans la cause-fleuve de l’ESMA (Ecole Supérieure de Mécanique de la Marine), devant un tribunal oral dans son propre bureau de cardinal primat, privilège donné par la dictature à la Curie par l’article 250 du Code de procédure Pénale

L’interrogatoire se centra sur deux affaires.

La première sur les témoignages qui assurent que Bergoglio a livré (aux militaires) les prêtres jésuites Orlando Yorio et Francisco Jalics, qui réalisaient un travail social dans un secteur très pauvre du quartier de Flores à Buenos Aires, et qui furent séquestrés en mai 1976, au début de la dictature. Cinq mois plus tard, ils recouvrèrent la liberté, après avoir subi la torture lors d’interrogatoires à l’ESMA.

La deuxième à propos de sa connaissance de l’appropriation de bébés des personnes séquestrées puis assassinées par les génocides. Dans les deux cas, le cardinal apporta très peu de renseignements, alléguant qu’il ne se rappelait pas les noms et qu’il ne connaissait pas non plus l’existence de documentation dans les archives de l’Eglise. Il existe cependant une claire évidence qui le compromet et dément ses dires : quand il quitta sa charge, des documents apparurent qu’il avait cachés à la Justice, et qui étaient dans des dépendances de la Conférence Episcopale Argentine qu’il avait présidée pendant six ans.

En 2010 s’intensifia le débat sur la législation pour autoriser le mariage entre personnes du même sexe. Bergoglio fut un ferme opposant, conduisant l’affaire sur les chemins extrêmes d’une guerre sainte, et lançant à dextre et à senestre une abondante « diarrhée verbale » discriminatoire, comme le montrent à l’évidence ses propres mots : « Ne soyons pas ingénus : il ne s’agit pas d’une simple lutte politique ; c’est la prétention destructive au plan de Dieu ».

« Il ne s’agit pas d’un simple projet législatif (qui est seulement l’instrument), mais d’un remue-ménage du père du mensonge qui prétend confondre et tromper les enfants de Dieu ».

« Le projet de loi sera abordé au Sénat après le 13 juillet. Regardons Saint Joseph, Marie, l’Enfant et demandons-leur avec ferveur de défendre la famille argentine en ce moment. Rappelons leur ce que Dieu lui-même dit à son peuple en un moment de forte angoisse : ‘Cette guerre n’est pas la vôtre, mais celle de Dieu’. Qu’ils nous secourent, qu’ils nous défendent et nous accompagnent dans cette guerre de Dieu ».

Quelques rares prêtres osèrent contredire le cardinal Bergoglio, et appuyer le mariage égalitaire. L’un d’eux fut le prêtre Nicolas Alessio, qui fut rapidement éloigné de la curie. A ce propos, il dit : « Ils m’ont condamné et expulsé pour mes idées différentes. Et notez bien que cette même Eglise n’a même pas adressé la moindre réprimande à des prêtres pédérastes comme l’évêque Edgar Gabriel Storni, qui vit commodément ici à La Falda, dans les monts de Córdoba, ou à Jules César Grassi qui sont tous deux sous le coup de condamnations judiciaires pour abus de mineurs. Il n’y a pas non plus eu de sanction pour Christian von Wernich, condamné pour délits de lèse-humanité. On a donc l’impression que cette église tolère les bourreaux et les violeurs dans ses rangs, mais pas celui qui pense différemment et ose le dire en public ».

Malgré la pression cléricale et le lobby au Congrès de la Nation, le 15 juillet 2010 le pays devint le premier pays d’Amérique latine à reconnaître ce droit sur tout le territoire national.

Bergoglio s’est toujours manifesté comme un opposant dur à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse dans tous les cas, même ceux que la législation argentine ne considère pas comme punissables (par exemple dans le cas de la grossesse issue d’un viol). Il en est même arrivé à dire que légiférer dans ce sens était « lamentable ». Des centaines de femmes sont gravement lésées ou meurent en Argentine à cause d’avortements clandestins, mais le nouveau pape appelle « culture de la mort » ceux qui défendent le droit pour la femme de décider et de disposer de son propre corps.

En 2010, depuis le luxueux Alvear Palace Hôtel de Buenos Aires, le nouveau pontife de l’église catholique intervint dans un séminaire sur les Politiques Publiques organisé par l’Ecole postuniversitaire Ville Argentine (à l’époque), l’Université du Sauveur et l’Université Charles III de Madrid, c’est-à-dire par des institutions privées et élitistes. Le cardinal, entouré des plus hautes personnalités du néolibéralisme des années 90 qui conduisirent l’Argentine à la pire crise qu’elle ait connue, disserta et signa un document de nette opposition au gouvernement, exposant ainsi clairement sa position politique. Il fit retentir avec force une phrase sur la pauvreté, la qualifiant d’ « immorale, injuste et illégitime ». Rappelons que l’Etat argentin dépense chaque année 7,2 millions de dollars en salaires et viatiques d’évêques, de prêtres et de séminaristes. Dans le cas des évêques, ils sont 96 à toucher 4400 dollars par mois libres d’impôts en vertu de décrets-lois pris par la dernière dictature.

On dit que Bergoglio est un promoteur du dialogue interreligieux, mais il le fait avec les secteurs les plus réactionnaires des autres cultes, comme l’évangélisme représenté par l’ex-députée Cynthia Hotton qui fut une furieuse opposante à la loi sur le mariage égalitaire. Avec l’accord public de François, celle-ci présenta un projet de loi de « liberté religieuse » qui violait toute idée d’Etat laïque, et dont seule l’action militante d’associations de croyants et de non-croyants put éviter l’adoption.

Un jour après la désignation de Bergoglio comme Pape de l’Eglise catholique apostolique et romaine, les répresseurs qui sont actuellement jugés pour les crimes de lèse-humanité commis durant la dernière dictature militaire au centre de détention « La Perle », arborèrent lors de l’audience judiciaire des insignes aux couleurs du drapeau du Vatican. Rappelons que lors des fêtes du bicentenaire de la patrie, la hiérarchie catholique, avec François comme autorité suprême, demanda officieusement une amnistie pour les génocides, sujet que le gouvernement ne traita même pas, vu que finalement l’Eglise n’assuma pas la responsabilité de la demande.

Pour les argentins et les latino-américains défenseurs des Droits de l’Homme, la désignation de Bergoglio n’est pas une bonne nouvelle. Nous connaissons son parcours et savons de quoi il est capable. Il est absolument certain que la lutte pour une Amérique latine complètement séculière sera un dur combat contre les forces cléricales.

Fernando Esteban LOZADA, Ingénieur,
Porte-parole pour l’Amérique latine de l’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP)
Membre de la Coalition Argentine pour un Etat Laïque (CAEL)
Président du Congrès National de l’Athéisme en Argentine
Ex-président et titulaire des relations interinstitutionnelles de l’Association Civile des Athées de Mar del Plata