Après les dernières révélations quant à la découverte de restes humains dans une institution religieuse accueillant des mères irlandaises et leurs bébés, Keith Porteous Wood, Directeur Exécutif de la National Secular Society, s’interroge sur comment de telles atrocités ont-elles pu se produire à une telle échelle et sur ce qu’il est possible de faire maintenant.

Une commission d’enquête gouvernementale portant sur dix-huit de ces institutions, dont beaucoup gérées par l’Eglise catholique au nom de l’Etat irlandais, a révélé que des restes de bébés et de jeunes enfants ont été retrouvés dans une ancienne institution catholique de Tuam, près de la côte ouest de l’Irlande, dans ce qui semble être un vaste réservoir d’eaux usées. Cet orphelinat a accueilli des mères célibataires entre 1925 et 1961, alors que les enfants issus de couples non mariés se voyaient refuser le baptême et une sépulture sacrée par un enseignement catholique conservateur.

A leur arrivée dans ce Home, les enfants étaient séparés de leurs mères qui étaient souvent obligées de les « donner » en adoption.

Ils étaient retenus dans des conditions épouvantables. Une inspection menée en 1944 par le gouvernement irlandais à Tuam décrivait certains d’entre eux comme « fragiles, ayant des ventres gonflés et décharnés » et le taux de mortalité dépassait de très loin celui des autres institutions de ce genre au sein desquelles le chiffre terrifiant de 17% était déjà atteint. En l’espace d’une seule année, selon les archives nationales, 31,6% des bébés de Tuam âgés de moins de un an décédèrent, « débiles de naissance » et maladies respiratoires étant les principales causes listées pour 40% des 796 décès enregistrés.

Il est difficile d’imaginer, de mémoire d’homme, l’enfer quotidien auquel les mères et les enfants étaient soumis régulièrement dans un pays civilisé. Si les faits sont allégués et largement reconnus, des abimes de perversité inhumaine institutionnalisée se sont développés à Tuam, qui était pratiquement un camp de la mort sous couverture d’un havre de piété et de refuge. Il existe une forte suspicion que d’autres endroits identiques pourraient bien être découverts désormais.

Au début de l’année 2014, l’historienne Catherine Corless a publié un « catalogue » de 800 décès, convaincue que les corps se trouvaient dans les fosses septiques sous les fondations. Alors que le lieu d’inhumation était enregistré dans des tombes spécifiques pour un tout petit nombre d’entre eux, ce n’était pas le cas pour l’immense majorité. Des questions gênantes ont alors surgi comme pourquoi le lieu d’inhumation n’était pas indiqué pour les autres.

Le site de la Catholic League a admis que près de 20 corps avaient été trouvés dans un réservoir dans les fondations du Home dans les années 70 mais évidemment il ne considérait pas que 20 squelettes constituait un charnier. La Ligue fulmine encore actuellement : “Des charniers… C’est un mensonge. Il est grand temps de mettre un terme à cette remise en cause incessante de la vérité et de l’Eglise catholique avant que plus personne ne croit ce que les médias disent à propos des affaires de l’Eglise. » Il subsiste cependant un doute sur le fait que ces découvertes, faites par des enfants explorant les lieux dans les années 70, proviennent de tout le site d’inhumation ; Corless a découvert un second site en 2014, au même emplacement que celui-ci. Aucun autre lieu de sépulture, individuelle ou collectif, n’a été découvert pour les autres corps.

Les découvertes de Corless ont été largement publiées par le Daily Mail, CNN et l’AFP. Plus tard, en 2014, un réalisateur de documentaire français de France 2 a approché les Sœurs du Bon Secours qui dirigeaient le Home – leur siège est à Paris. Leur chargée de communication lui a déclaré qu’elle « ne trouverait aucun charnier, aucune preuve que les enfants étaient enterrés de la sorte » et un officier de police local lui a expliqué avec scepticisme que « quelques ossements avaient été trouvés mais qu’il s’agissait d’un endroit où les victimes de la Grande Famine avaient été enterrées. Alors ? » La chargé de communication les a défendues en affirmant qu’il n’y avait absolument « aucune différence » entre ce qu’elles avaient dit et les déclarations publiques faites par les Sœurs du Bon Secours.

Pourquoi aurait-on retrouvé des victimes de la Grande Famine dans des fosses septiques recouvertes d’un couvercle en béton ? La question n’a jamais été éclaircie…

Même après les dernières révélations, la chargée de communication a refusé dans un premier temps d’accorder une entrevue à l’Irish Times, elle s’est toutefois ensuite excusée en disant que « personne ne s’attendait à un nombre aussi élevé que celui qui a été révélé. Clairement il s’agit d’une vaste inhumation ». Mais là encore elle n’a pas jeté l’éponge, se demandant si le nombre d’enfants et de nourrissons morts était « disproportionné par rapport à la moyenne ordinaire à cette époque », ce qui en d’autres circonstances apparaîtrait comme le summum de l’insensibilité. … « Et autre chose, de quoi sont-ils morts ? Etait-ce de malnutrition, de manque de soins ? Qu’est-ce qui a tué ces enfants ? »

Oubliées les réparations, nous n’avons encore vu ni les Sœurs du Bon Secours ni leurs conseillers en communication exprimer le plus petit remords ou s’excuser de cette litanie de cruautés. Bon Secours a ignoré l’an dernier les démarches de notre organisation sœur la Libre Pensée française et de la même manière, sous prétexte que les dossiers ont été transmis au Galway County Council, elles n’ont fait « aucun commentaire sur les déclarations faites aujourd’hui » si ce n’est « de confirmer notre coopération continue et notre soutien au travail de la Commission dans la recherche de la vérité à propos de cette institution. » Si elles avaient refusé de coopérer, cela aurait attisé la tempête médiatique.

La tragédie est encore plus grande du fait de la perspective peu crédible d’individus devant rendre des comptes pour cela sur le plan pénal ou civil ; apparemment il n’existe plus personne ayant été impliquée et pouvant apporter des preuves.

Selon un article paru dans le Irish Times en mars 2017, intitulé “Les nonnes ont menti « à travers leurs dents » au sujet du Couvent de Tuam, audiences” il est établi : « A la suite de longues recherches concernant des indemnités versées, les archives ont été transmises… » J’espère que l’Etat va enquêter sur le fait que, plus récemment, les Sœurs ont soutiré des dédommagements en échange d’informations au sujet des institutions, et si oui qui leur a accordé ? pourquoi ? au nom de quelle autorité ? à quel point sont-elles contraignantes ? et quels recours juridiques pourrait-il y avoir ?

Mais même cela ne serait pas aussi simple qu’il semble ; l’article se poursuit avec la déclaration d’un avocat affirmant que la Child and Family Agency du gouvernement irlandais « s’est assise » sur les archives.

Est-ce que le Bon Secours lui-même paie désormais une pénalité pour sa trahison supposée des enfants qui lui étaient confiés et pour lesquels ils ont été payés ?

Il semble que Bríd Smith TD (députée) fait de son mieux pour que ceci ait lieu. Elle accuse les Sœurs du Bon Secours d’avoir « couvert massivement » une « activité criminelle » qu’elles ont niée pendant des années. “Bon Secours aujourd’hui fonctionne et tire des profits lucratifs de deux hôpitaux privés… C’est une organisation très riche.” “L’ordre lui-même devrait être dissous et ses actifs transmis à l’Etat », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse ; elle aimerait que ces hôpitaux servent aux plus vulnérables plutôt qu’à ceux qui peuvent se permettre de payer.

La confirmation de ces restes horribles a remué quelque chose au sein de la société irlandaise, désormais beaucoup plus laïque. Elle en a conclu ce qu’aucun politicien n’aurait osé jusqu’à récemment : « Nous devons dire une fois pour toutes à l’Eglise de sortir de nos vies, de sortir de la vie de nos enfants, de sortir de la vie de nos femmes, de sortir de nos lits, de sortir de nos écoles et de sortir de nos hôpitaux. » De la même manière ceux qui en appellent à la dépénalisation de l’avortement pointent désormais Tuam du doigt pour étayer leur cause.

Tuam est seulement l’un des dix-huit établissements ayant été inspecté et Paul Redmond, président de la Coalition of Mother and Baby Home Survivors a déclaré qu’il s’attendait à ce que la commission d’investigation évalue à un chiffre de 7 à 8 000 le nombre de bébés morts dans les institutions irlandaises entre les années 1920 et 1960. Il semblerait qu’il y ait eu 180 institutions comme celle-là.

Tout comme les Sœurs du Bon Secours, les Blanchisseries des Magdalènes étaient une des autres armes de l’Eglise catholique contre les femmes considérées comme indésirables, pas seulement les mères célibataires mais aussi les femmes « du voyage » qui s’occupaient bien de leurs enfants. Ces institutions étaient des camps de travaux forcés rudement critiquées par les Nations Unies en 2014 (voir paragraphes 37 et 38). Il est fait également référence ici à des charniers découverts aux Blanchisseries des Magdalènes et récemment l’Irish Times a demandé le report de la réouverture de deux des sites des Magdalènes jusqu’à ce que les recherches de restes d’enfants soient terminées. Une association de survivants possède les noms de 1 600 d’entre eux, supposés être morts dans les blanchisseries, alors que beaucoup étaient inconnus, les jeunes femmes se voyant retirer même leurs noms lorsqu’elles y entraient. Dans la plus grande d’entre elles, High Park, une sépulture contenant 155 corps a été découverte, uniquement parce que les nonnes ont du vendre le terrain à un promoteur immobilier suite à un investissement malheureux. Elles ne savaient plus combien de corps s’y trouvaient et un tiers d’entre eux n’étaient pas identifiés.

Les enfants ne sont pas responsables de leur naissance hors mariage. Cependant, le message de la doctrine officielle de l’Eglise catholique leur déniant le droit à une sépulture décente dans un pays où le catholicisme est omniprésent est qu’ils ne méritent pas d’être traités comme des êtres humains. Et ces enfants semblent bien avoir été traités d’une manière qui serait aujourd’hui considérée comme illégale pour des animaux.

Les autres victimes de ces institutions étaient pour la plupart des femmes célibataires et enceintes de pères pour la plupart impunis. Et ce en grande partie à cause de la proscription de la contraception par l’Eglise catholique jusqu’en 1980 et du fait que l’avortement est toujours interdit. Seules celles qui ont les moyens de payer un voyage à l’étranger peuvent bénéficier d’un avortement légal et en toute sécurité.

Le niveau des abus sexuels commis par des prêtres en Irlande (quasi entièrement du fait de l’Eglise catholique) est le plus élevé au monde. Etant donné qu’il s’agit d’une petite île, en grande partie rurale, il semble inconcevable que la cruauté sévissant dans ces maisons et l’abus sexuel sur des enfants à une telle échelle aient pu se perpétrer pendant si longtemps sans que personne ne soit au courant. Alors que la gentillesse des Irlandais est incontestable, il se pourrait que celle-ci ait été compromise par la profondeur légendaire de leur piété, et les lanceurs d’alerte potentiels n’ont pas voulu risquer de subir les menaces des religieuses pour avoir provoqué un scandale au sein de l’Eglise.

Serait-il possible que l’étendue de cette piété et de ces menaces de représailles ait autorisé l’Église patriarcale, et à bien des égards misogyne, à faire absolument tout ce qu’elle voulait, surtout quand elle contrôlait aussi le gouvernement ? C’est vraiment l’antithèse de la laïcité.

Keith Porteous Wood